Alors que d'immondes pirates mettent en danger notre sacro-saint petit écran à coup de téléchargements illégaux, un homme, un surhomme que dis-je, se dresse seul pour défendre la ménagère de moins de quarante ans et les CSP+. Ce héros se nomme: El programator.
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vendredi 12 juin 2020

Derapage

Je n'avais jamais entendu parler de la série Dérapage mais les hasard de l’algorithme Netflix me l'ont présenté en tendance Française et ont suscité ma curiosité. Je regrette toujours de ne pas parler assez de série française sur le blog, c'était une bonne occasion d'y palier.





Date de diffusion : avril 2020
Durée : 6 x 52min
Genre : Drame social
Création : Pierre Lemaitre, Pierrine Margaine, Ziad Doueiri
Casting :Eric Cantona, Suzanne Clément, Alex Lutz
Nationalité : France
Chaîne d'origine : Arte

Synopsis:

Chômeur depuis plus de 6 ans, Alain Delambre est sur le point de craquer lorsqu'une opportunité unique se présente à lui. Une société internationale est prête à l'accepter  à un poste de haut niveau malgré son grand âge. Une simple dernière formalité, un test grandeur nature, il lui suffit de simuler une prise d'otage pour tester les nerfs des cadres de la boite.

Critique :

Ce qui me semble le plus intéressant sur Dérapage, c'est que la série repose sur un fait réel. En 2005, la régie publicitaire de France Télévision à mis en place la prise d'otage d'une douzaine de ses cadres. Pendant plus d'une heure, une dizaine de membre du GIGN  masqués et lourdement armés ont menottés, cagoulés, et mis sous pression les employés de la boite sous prétexte de vouloir une rançon. L'affaire sera révélé un mois plus tard par le canard enchaîné sans faire beaucoup d'émois et aura des conséquences graves sur les cadres concernés victimes de réels traumatismes. Le responsable, Philippe Santini, sera condamné en 2009 suite à la plainte au pénal de l'une des victimes pour “complicité de violences volontaires aggravées, avec préméditation et usage ou menace d’une arme (...) et séquestration”. Il ne quittera ses fonctions chez France Télévisions Publicité qu’en 2012.
C'est de ce fait divers que c'est inspiré le romancier Pierre Lemaitre pour écrire son roman "Cadres Noirs" qui servira de base à la série. Le romancier, également scénariste et qui a vu d'autres de ses romans adaptés à l'écran (Au revoir là-haut, etc) s'associera pour l'écriture a Pierrine Margaine avec qui il a déjà travaillé pour le film Trois jours et une vie. Enfin, pour la réalisation, on retrouvera Ziad Doueiri à qui l'on doit déjà l'excellente série Baron Noir. On reconnaîtra d'ailleurs vite la patte du réalisateur, Dérapage est visuellement très ambitieux avec de superbes plans, des mouvements de caméra, du dynamisme, clairement on est plus proche des séries américaines que des séries française (oui, c'est un cliché mais qui parle au plus grand nombre). Seul petit bémol, les scènes d'action reste un peu pauvre, et il ne faudra pas attendre des cascades ou des chorégraphies. De simples coups de pied sonnent même parfois très faux.
Il fallait au moins un réalisateur de ce calibre pour porter ce pitch très lourd, matérialisation à l’extrême de la violence du management moderne. Un pitch qui évoquera aussi rapidement Breaking Bad, puisque dans les deux cas on retrouve un homme ordinaire brisé par la société qui décide de se retourner contre elle en sombrant dans l'illégalité. (un pitch qui n'est pas non plus sans rappeler l'excellent Joker).
Pour porter un pareil pitch, il fallait de sacrés épaules et donc un casting à la hauteur et, là encore, la série se distingue en ressortant l'immense Eric Cantona de la naphtaline. S'il est surtout connu comme footbaler, Cantona avait tout de même marqué les esprits à plusieurs reprises en tant qu'acteur, notamment dans le bonheur est dans le prés et surtout Looking for Eric. Il campe ici a merveille le rôle de cet homme qui a connu le succès mais est aujourd'hui écrasé par le poids de ses échecs. Pourtant, l'acteur s'avère un peu inégal dans son jeu et si la prestation est globalement de qualité, certains passages s’avèrent moins crédible que d'autres. (la violence notamment)
Face à cet ogre, il fallait une véritable stature, une personnalité que rien ne pourrait ébranler et c'est étonnamment le comique Alex Lutz qui a été choisi. Je le connais essentiellement pour sa rubrique sur Canal+ et son excellent rôle dans OSS 117, Rio ne répond plus mais ici il nous livre une prestation irréprochable, et domine Cantona tout du long. C'est la véritable surprise de la série, comment l'acteur réussit à en imposer naturellement sans avoir besoin d'en faire trop. Il est parfait en jeune loup du capitalisme prêt à tout pour accumuler ses millions. Autour d'eux le choix des acteurs est tout aussi réussi, on s'amusera de retrouver Gustave de Kervern ou Vincent Desagnat dans des rôles simples mais bien campés. Il y a également un casting féminin, essentiellement la famille du héros, les actrices sont très bien mais pour l'instant la série ne leur donne pas trop de latitude pour être intéressante (à part l'avocate peut-être)
Globalement, il y avait de quoi faire une série de référence et pourtant la série se perd dans une mécanique un peu stérile et un traitement qui tire en longueur. Si voir Cantona raconter son histoire après coup pouvait avoir quelque chose de séduisant, il faut reconnaître que ça n'apporte au final pas grand chose, ça ne crée ni suspens, ni enjeu et ne fait que diluer la narration. De même, on pourrait diviser la série en trois parties : les préparatifs, l'action et les conséquences. Si les deux premières parties fonctionnent bien, la dernière est moins convaincante en sombrant dans le drame social à la française. Les frères Dardennes ne sont pas loin (oui, ils sont belges mais vous voyez l'idée).
Pire, en tout cas de mon point de vue, alors que Pierre Lemaitre est un écrivain engagé et qu'il dénonce le libéralisme dans son oeuvre, le fond est ici beaucoup moins clair, et à l'image d'un Walter White, Alain Delambre est loin d'être tout blanc, sauf qu'il faut plusieurs saisons à Walter pour devenir une ordure alors qu'il ne faut que quelques épisodes à Alain. Une différence de traitement qui selon moi change tout, jusqu'au propos, Alain n'a plus l'air d'une victime du système du tout, il a même l'air d'être ce système. (c'est évoqué en toile de fond mais je ne sais pas si les scénaristes étaient conscient que c'était marqué à ce point et si oui, que veulent-ils vraiment dire ?)
Au final, grâce à un excellent pitch et beaucoup de qualité, Dérapage est une série qui se regarde bien. Pour autant, je suis peu enthousiaste à l'idée d'une suite tant les antagonismes en place sont peu motivant. le sujet se prête à bien des traitement, et la série pourrait gagner en puissance dans une suite plus ambitieuse ou s'enfoncer dans les travers des derniers épisodes.


Conclusion :

Sur un pitch vraiment musclé et un casting ambitieux, la série patine à cause d'un développement un peu mou. En six épisodes peu de temps pour s'ennuyer mais cela affaiblit une série qui aurait vraiment pu faire référence.

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